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Affaire baby-loup : Clap de fin pour la justice française ?

Le 24 juillet 2014
Ass. Plénière, Cour de cassation, arrêt du 25 juin 2014 pourvoi numéro E.13-28.369
Un règlement intérieur d’une entreprise peut apporter certaines restrictions à la liberté de conscience et de religion.

Les faits sont les suivants : de retour de congés maternité et parental, une salariée se présente sur son lieu de travail revêtue d’un foulard islamique.

Le lieu de travail en question est une crèche associative qui a pour objectif de « de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier ». Elle « s’efforce de répondre à l’ensemble des besoins collectifs émanant des familles, avec comme objectif la revalorisation de la vie locale, sur le plan professionnel, social et culturel sans distinction d’opinion politique ou confessionnelle ».

Refus catégorique de la direction de l'établissement de laisser la salariée désormais voilée reprendre ses fonctions dans ces conditions au motif qu’une obligation de "neutralité philosophique, politique et confessionnelle" est inscrite dans le règlement intérieur de la crèche.

Refusant d’ôter son foulard sur son lieu de travail, la salariée est licenciée pour faute grave.

La salariée saisit le Conseil de Prud’hommes en vue d’obtenir l’annulation du licenciement qui serait intervenu en considération de ses convictions religieuses et serait donc, de ce fait, constitutif d’une discrimination. Il n’est fait droit à sa demande ni par le Conseil de Prud’hommes, ni par la Cour d’Appel de Versailles saisie d’un recours. La salariée se pourvoit en cassation.

Dans un arrêt en date du 19 mars 2013 (pourvoi n°11-28.845), la Cour de cassation énonce que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; qu'il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; qu'il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ».

Pour la Cour de cassation, la Cour d’Appel de Versailles qui avait constaté que le règlement intérieur de l’association Baby Loup prévoit que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche », aurait dû en déduire que la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne répondait pas aux exigences de l'article L. 1321-3 du Code du travail.

Dès lors, le licenciement, prononcé pour un motif discriminatoire, était nul.

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’Appel de Paris qui
confirme pourtant le licenciement de la salariée.

Nouveau pourvoi.

Dans un arrêt rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation, sa formation la plus solennelle, en date du 25 juin 2014 (pourvoi n°13-28369), la Cour rappelle qu’« il résulte de la combinaison des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ».

Mais elle poursuit : « Qu’ayant relevé que le règlement intérieur de l’association Baby-Loup, tel qu’amendé en 2003, disposait que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche », la cour d’appel a pu en déduire, appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché ».

Dès lors, il est confié aux juges du fond le pouvoir d’apprécier au cas par cas les conditions dans lesquelles le règlement intérieur applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public peut apporter des restrictions à la liberté de conscience et de religion.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme est saisi d’un recours.

Rappel :
Article 1er de la Constitution :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

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